C’était une douce époque. Celle où un petit village esseulé dans ses hautes montagnes attendait de nouveaux enfants venus d'ailleurs pour agrandir sa famille. Nous sommes en 1967. Pour construire sa renommée, Val d’Isère ajoutait à sa filiation des visages d’hommes et de femmes composés d'entrepreneurs motivés par le labeur, l’amour et le respect de leur village.
Le couple Beilin était de ceux-là. En construisant l’hôtel La Gelinotte sur les hauteurs alors désertes des pentes du Petit Alaska au dessus de la Balme, il déclarait son union de cœur avec le village devant les avalins pour témoins.
Le temps est passé. Si les efforts de tant d’années ont payé, le fil des jours s’est tendu petit à petit jusqu’à rompre le 23 mars. Il laisse d’un côté l’éternité à Christa et de l’autre le chagrin de sa famille. Que cette dernière soit rassurée. À 87 ans, et entourée de ses filles, elle a attendu un sommeil serein pour un paisible départ où elle a rejoint le monde que lui préparait Pierre depuis 2016 et Caroline, l’une de ses 4 filles.
Dans cet univers où ni l’espace ni le temps n’ont d’emprise, elle aura tout le loisir de remonter l’horloge de sa vie. De là-haut elle imprimera à ses proches le souvenir de la femme qu’elle était. Son sourire lumineux reflétait un humour naturel qu’elle préférait à la gravité. Tout cela était alimenté par un anticonformisme peu répandu dans la station mais à propos duquel les autochtones s’en accommodaient sans réserve. Ses engagements sociaux et sportifs révélaient une nature généreusement communicative. Elle enseigna le patinage en même temps qu’elle accompagnait les enfants dans les sorties scolaires ou celles du Club des sports. Avec Firmin Mattis, parti comme un signe du destin dans la même semaine, elle cachait les œufs de Pâques sur la piste du Kern. Fan de tennis, elle pratiquait avec la même assiduité le ski pour lequel elle voua un culte viscéral. Ses sorties hors pistes avec son moniteur Jean Lou Costerg lui conférera le rare privilège d’un savoir passionné du domaine hors pistes.
Et puis la famille. C’était le cœur de son réacteur sans laquelle rien n’aurait été possible. Elle en attisait la flamme avec vigueur pour que les braises ne s'éteignent jamais.
Pour son dernier horizon, et après avoir cédé l’hôtel, elle demeurait à St Jorioz en Haute Savoie où elle entretenait son potager. Le lac d’Annecy à portée de palmes, elle s’y baignait souvent. Mais rien n’effaçait la mémoire de Val d’Isère. À chaque remontée au pays, elle s’exclamait : « Ah, me revoilà chez moi ! »
D’origine allemande, sa terre était bien celle de Val d’Isère…
Benoit Launay